Il n’y a pas de mauvais temps, mais que du temps à vivre…
FORÊT, un peintre au bois dormant.
Il me suffisait d’essayer de nommer ce que je voyais autour mon potager pour révéler mon ignorance. Que sont ces fleurs ? D’où vient cette roche ? Que sont ces traces sur le chemin ? Me voilà bien muets devant un sous-bois. Ni scientifique, ni pygmée de mon propre territoire, j’en suis devenu l’étranger. Homo-urbanus vivant en campagne !
C’est peut-être pour cela, je me suis mis en tête de bivouaquer et de peindre une année, cinq jours par semaine, dans une forêt à une heure de chez moi. Une forêt perchée à 800 mètres de hauteur, la forêt domaniale de la Montagne Noire, au nord-ouest du Parc naturel régional du Haut Languedoc. Connue pour la rudesse de son climat, mais aussi pour sa beauté sauvage. Je suis allé à sa rencontre, pour en savoir plus sur elle et sur moi, et pour la vérité de l’échange. Par tous les temps, par toutes les humeurs.
Il n’y a pas de mauvais temps, mais que du temps à vivre.
J’ai vagabondé pendant une quarantaine de jours avant de commencer mon carnet, prenant quelques notes ici et là, m’essayant aux premières peintures et aux premières nuits.
Mes bivouacs étaient précaires, la fatigue grande et l’envie de laisser tomber tout autant. J’avais besoin d’une entrée, d’une vision simple.
C’est un coup de téléphone qui me l’offrit. Un article sur le site de l’association Ora Fontium décrivait des bornes anciennes au sud de la Montagne.
En bas de page, un contact. J’appelais. Son auteur, Jean-Michel Doudiés, m’encouragea à les découvrir in situ. Je repartis dans les bois avec un mémoire de 400 pages qui me mena à la première borne. En fin d’après-midi, dans l’oblique d’un rayon de soleil, bordée d’un ruisseau, elle m’attendait… Accroupi sur un parterre de fleurs violettes, j’ouvris mon carnet, les pages, aveugles jusque-là, voulaient voir. Nous le voulions tous, le ruisseau, le soleil, les fleurs, la borne et moi. C’était l’heure douce, celle qui vous accueille. La porte ouverte sur une année d’aventure forestière.
Vous l’aurez compris, j’ai l’émerveillement facile, mais j’avoue que ce ne fut pas toujours mon quotidien. La nature est neutre, elle n’a que faire de nos sentiments, mais qu’elles furent belles ces heures vouées à la découverte. J’ai parcouru 4 000 hectares de forêt, de talwegs, de sagnes, changeant de campement chaque semaine, dormant au plus profond du monde sylvestre, plongeant dans son métabolisme organique, fait de bois, de feuilles, de champignons lignivores, d’insectes volants et rampants, d’oiseaux sonores, de chevreuils vifs et de renards silencieux.
J’ai parcouru 4 000 hectares de forêt, de talwegs, de sagnes, changeant de campement chaque semaine, dormant au plus profond du monde sylvestre, plongeant dans son métabolisme organique, fait de bois, de feuilles, de champignons lignivores, d’insectes volants et rampants, d’oiseaux sonores, de chevreuils vifs et de renards silencieux. Peu à peu, j’y ai reconnu aussi notre propre histoire, ces liens millénaires qui nous unissent à elle. Car il y a là des grottes et des abris sous-roche, des fontaines oubliées, des forges romaines, des bornes monastiques, des verreries du 16ᵉ, 17ᵉ et 18ᵉ siècle, des mines de marbres et de fer, des moulins enfouis, des maisons forestières d’un autre temps, des cours d’eau maîtrisés et des tours éoliennes. Tout cela me menait à un territoire humain, à des femmes et des hommes qui ont ancré leur vie sur cette montagne. J’ai uni mon histoire à la leur, patiemment, saison après saison. Le temps a fait le reste. Des pages de notes, de peintures et de dessins réalisés au fil des jours. À l’heure de la prise de conscience tardive de notre terrible impact sur l’environnement, on pourrait me reprocher de ne pas aborder certains sujets brûlants. Je répondrai que mon but n’était pas de faire un constat, ni un inventaire du monde forestier. Mais de célébrer, célébrer un lien oublié, célébrer l’union de notre humanité à un paysage qui nous dépasse en âge et en mystère.
Célébrer pour nous unir à nouveau.